A cette question simple, la réponse paraît faussement évidente. Les bombardements massifs décidés par Donald Trump sur les sites nucléaires de Fordo, Natanz et Ispahan, sans qu’il s’agisse d’une riposte immédiate à une attaque iranienne, s’affranchissent de la Charte des Nations Unies de même que les attaques lancées depuis le 13 juin par Benyamin Netanyahu. Sur le papier, Etats-Unis et Israël violent donc ouvertement le droit international. Viser des objectifs réputés civils et assassiner des officiels iraniens -généraux de l’armée et Gardiens de la révolution- n’est naturellement pas autorisé par l’ONU. Sauf que cette lecture juridique de la situation est incomplète et purement théorique.
D’abord parce que le droit international se limite depuis 1945 à quelques principes restreints sur lesquels le Conseil de sécurité des Nations Unies est censé fonder ses votes. Dans la pratique ces règles sont rarement respectées et les résolutions de l’ONU -ou leur blocage par le véto de l’un ou l’autre membre permanent- sont inspirées soit par les intérêts propres de ces puissances, soit par l’opportunité de leurs alliances, soit par des biais idéologiques. Autant dire que bon nombre des 193 pays membres des Nations Unies se moquent comme d’une guigne de ces considérations juridiques, même s’ils font mine de s’en prévaloir.
Il leur suffit de tordre le droit pour l’orienter dans le sens qui leur convient.
La méthode n’a rien de neuf, ces pratiques avaient déjà conduit dans les années 1930 à l’éclatement de facto de la Société des Nations -née du Traité de Versailles- et à la seconde guerre mondiale.
Un bref coup d’œil sur l’histoire récente prouve que le droit international ressemble de plus en plus à un paillasson. Parmi les plus indifférents à la Charte des Nations Unies figurent au moins deux des membres permanents du Conseil de sécurité. La Russie peut revendiquer le haut du podium, pas seulement avec l’annexion de la Crimée en 2014 ou l’invasion en Ukraine en 2022 mais dès les années 1990 contre la Géorgie avec l’appui apporté par Moscou aux séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. La Chine n’est pas en reste, qui prépare l’annexion de Taïwan au motif que l’île anti-communiste ferait de plein droit partie de l’empire du Milieu. On pourrait y ajouter de façon plus anecdotique les visées de Donald Trump sur le Groënland ou ses velléités de faire du Canada le 51ème Etat des USA.
Rappeler que le droit international devient une fiction -au Moyen-Orient comme ailleurs- ne revient pas à légitimer ceux qui s’en exonèrent.
Le contexte de la guerre Israël/Iran et l’histoire récente de la relation entre les deux Etats montre sans ambiguïté que le conflit n’a pas commencé le 13 juin 2025 mais près d’un demi-siècle plus tôt, lors de l’arrivée au pouvoir des Mollahs à l’hiver 1979. Dès l’instauration de la République islamique, l’un des objectifs avoués de l’ayatollah Rouhollah Khomeini est l’anéantissement pur et simple d’Israël, Etat qualifié de « petit Satan » en relation avec le « grand Satan » que seraient les Etats-Unis. Cette rhétorique se traduit par des slogans sans ambiguïté « mort à l’Amérique, mort à Israël ! » scandés régulièrement par les foules iraniennes, tandis que le guide suprême et les Mollahs qui l’entourent revendiquent de s’affranchir du droit international pour détruire l’Etat hébreu au nom de l’Islam.
En Iran le dogme chiite prévaut sur la Charte des Nations Unies.
La République islamique qui dénonce en 2025 l’illégalité des frappes israéliennes ne s’embarrasse pas non plus de concepts juridiques lorsqu’il s’agit de soutenir des attentats à l’étranger ou d’assassiner ses opposants réfugiés dans un pays tiers. La France en a fait l’expérience pendant des décennies. L’implication iranienne via le Hezbollah dans les explosions meurtrières qui ont eu lieu à Paris au milieu des années 1980 ne fait guère de doute. Parmi les attentats les plus sanglants figure celui de la rue de Rennes le 17 septembre 1986 dans lequel sept personnes ont perdu la vie. La main de l’Iran se retrouve également derrière l’assassinat de Chapour Bakhtiar -ancien Premier ministre du Shah- égorgé à son domicile de Suresnes le 6 août 1991 par un commando. L’un des spadassins arrêté en Suisse quelques jours plus tard -Ali Vakili Rad- reconnaîtra pendant son procès avoir agi sur ordre de Téhéran.
Si l’Iran n’a aucune légitimité pour se poser en défenseur du droit international, la question de la légalité des bombardements américains et israéliens sur le territoire iranien reste pendante. L’argument du gouvernement Netanyahu pour intervenir militairement repose sur l’imminence de la fabrication de plusieurs bombes atomiques par le régime de Téhéran, faisant peser une menace existentielle sur Israël ce qui justifierait une attaque préemptive. A la différence d’une intervention armée préventive -qui consiste à prendre l’initiative face à un changement de rapport de forces- ces bombardements préemptifs seraient selon l’Etat hébreu justifiés par la proximité d’une attaque nucléaire de l’Iran. Or tous les éléments crédibles -si l’on ne se contente pas des analyses de l’AIEA qui dit ne pas avoir trouvé trace d’un programme nucléaire iranien à but militaire- confirment que Téhéran progresse rapidement vers la fabrication de bombes atomiques. Mais que l’Iran n’avait pas encore les moyens d’employer une frappe nucléaire.
A la suite des bombardements américains, l’Iran a lancé de nouvelles salves de missiles sur des objectifs israéliens parmi lesquels des cibles civiles. Un type de riposte qui ne correspond pas non plus aux normes du droit international. Les imprécations des ayatollahs et de leurs relais dans les pays occidentaux, qui s’indignent de l’illégalité des frappes américaines, sonnent creux. Au sens strict, l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Iran, de même que les bombardements israéliens du 13 juin, tout comme le soutien des ayatollahs aux groupes terroristes hostiles à l’Etat hébreu ou le programme atomique militaire de Téhéran contreviennent à la Charte des Nations Unies. Cette séquence confirme que le droit international tel qu’il a été sommairement défini au lendemain de la seconde guerre mondiale est tellement démonétisé, que les pires régimes peuvent s’y référer sans vergogne et par pur opportunisme.
Bertrand Gallicher
Journaliste, spécialiste des questions internationales
Source : Joshua Sukoff / Shutterstock.com